mercredi 15 octobre 2008

Heureux les pauvres

Heureux les pauvres

Ici, aux Alagados, se côtoient la misère et la pauvreté. C’est parce que nous sommes venus ici que j’ai réalisé qu’il s’agissait de deux choses différentes. La pauvreté, ou l’indigence, c’est le dépouillement matériel, qui crée un manque. Elle peut être choisie ou subie. A l’appel du Christ, certains choisissent de renoncer à un confort matériel, à l’entourage familial proche, c’est une forme de pauvreté. Celle qui dépouille le corps pour débroussailler le cœur.
La misère, c’est la perte de la dignité, c’est ce qui fait que le pauvre ne regarde plus les gens en face. Il n’y a pas que les pauvres qui sont miséreux. Les plus riches peuvent l’être aussi, si leur relative richesse les rend malheureux parce qu’envieux d’une plus grande richesse. Alors, bien qu’ils ne soient pas à proprement parler pauvres, ils se sentent pauvres, parce que plus pauvres que d’autres, et donc indignes : c’est la misère.
Cette réflexion complète celle que je m’étais faite sur la distinction entre la douleur et la souffrance : pas besoin d’avoir mal pour souffrir, pas besoin d’être pauvre pour être misérable.

Autour de nous se côtoient la pauvreté et la misère. Peut-on relever les pauvres de leur pauvreté ? Est-ce souhaitable ? Sans doute, mais tous n’ont pas le désir de changer. Le dépouillement ouvre à d’autres richesses, comme le décrit si bien Sœur Emmanuelle. Peut-on relever les miséreux, est-ce souhaitable ? Ce sont des frères en humanité qui ont besoin de retrouver leur place parmi les hommes. Invités comme les autres au festin de la noce, ils n’osent pas s’y rendre. Un regard, un sourire, une salutation, une parole, c’est ce qui permet de rompre la misère et de redonner, sinon l’espoir, au moins l’espérance. L’espérance, c’est ce qu’il reste quand il n’y a plus d’espoir. C’est aussi ce qui peut apparaître avant l’espoir. L’espérance, c’est le premier pas hors de la misère.

Reste à savoir qui sont les vrais pauvres, ou plutôt de quoi sont-ils pauvres ; ou plutôt, devrais-je dire, de quoi nous sommes pauvres. Car les pauvres ne sont pas toujours là où l’on croit. Il y a chez les habitants de notre quartier, un certain confort matériel : ils ont presque tous les télé, l’eau courante, un lit pour dormir, un endroit pour cuisiner... Certains ont même une voiture, avec des baffles puissantes (du genre de la sono d’Alliances quand même !) pour diffuser leur musique dans la rue, en particulier le week-end.
Leur pauvreté n’est donc pas forcément matérielle. Elle est dans le fait de ne pas avoir de travail, de ne pas se sentir utile à quelque chose. Mais, surtout, dans le manque d’un environnement agréable pour se développer. Ici, rien n’est stable, on ne peut pas compter sur les gens à long terme. De même, le bruit et la promiscuité ne permettent pas une vie intérieure, un petit espace personnel, un jardin secret. Voilà la pauvreté du quartier, quels que soient les revenus de ses habitants.
De notre côté, nous sommes bien pauvres de sourires, d’accueil, de temps pour parler aussi, à cause de la langue surtout ! Et pauvres de simplicité : notre vie est dominée par ce que nous possédons, alors que ce qui possèdent peu connaissent le prix de la vie simple.

Nous qui avons choisi une certaine pauvreté, que notre cœur débroussaillé nous ouvre à la misère pour oser l’affronter et aider à la vaincre, ne serait-ce que pour un seul de ces petits qui sont nos frères. Car c’est bien d’eux dont il est écrit « Heureux les pauvres de cœur, le Royaume des cieux est à eux », et aussi « Beaucoup de derniers seront premiers », et encore « ce que vous faites leur faites, c’est à Moi que vous le faites ».

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